• Balayer

     


     

    P1210377.jpgVillage du Kutch, bord de route: l'âne et les détritus

     

    Lors de mes premiers voyages en Inde il y a une vingtaine d'années,  j'avais  eu un choc en découvrant notamment qu'il était impossible de se  balader tranquillement sur une plage, les rivages étant de véritables crottodromes. Les choses changent. Lentement. D'un voyage à l'autre, le vieux Delhi semble un peu moins crasseux. Mais les quartiers anciens d'Ahmedabad, ville incroyablement pagailleuse  de 5 millions d'habitants sont d'une saleté parfois stupéfiante. Pourquoi un manque d'hygiène aussi désinvolte  dans un pays on l'on croise des myriades de balayeurs?

     

    P1210153.jpgfaçade chaotique dans le vieil Ahmedabad

     

    Le meilleur décryptage de ce paradoxe me semble celui de l'écrivain VS Naipaul. Dans L'illusion des ténèbres, récit écrit au début des années soixante (mais publié en français en 1989 seulement) Naipaul, indien natif de Trinidad aux Antilles raconte sa découverte d'une Inde où il n'avait jamais vécu et dont il propose un état des lieux décapant. II fait un parallèle avec ce qu'avait ressenti Gandhi (né en Inde, au Gujarat) retournant en Inde à 43 ans, après de longues années passées  en Europe et en Afrique du sud. Les séjours prolongés de Gandhi à l'étranger lui avaient donné assez de distance  pour voir  le quotidien  indien tel qu'il est:  "il a regardé l'Inde comme aucun Indien n'avait pu le faire; sa vision était directe;  elle était et est restée révolutionnaire", écrit Naipaul.

     

     Que voyait Gandhi?  Ce que voit Naipaul trente ans plus tard, et ce qu'on voit encore souvent aujourd'hui:

    .

    "(Les) balayeurs sont de service quotidiennement. Ils ne sont pas tenus de nettoyer. C'est un élément subsidiaire de leur fonction, qui consiste à être balayeurs, -des individus dégradés destinés à effectuer les gestes de la dégradation".

     

     

     

    P1210159.jpg

    Balai en plumes de paon dans la très belle mosquée du Vendredi, Ahmedabad

     

    Il s'agit donc de balayer pour balayer parce qu'on issu de la caste des balayeurs … mais non de balayer pour faire le propre.

     

     

    P1210887.jpgPelouse après le passage d'une nuée de jeunes pique-niqueurs, dans les jardins près du mausolée d'Humayun, Delhi.

     


     "Le système des classes est un système de récompenses. Celui des castes emprisonne l'homme dans sa fonction. Comme il n'y a pas de récompense, les devoirs et les responsabilités deviennent étrangers à l'emploi", commente Naipaul.

     

    De nombreux courants, religieux ou non, sont nés notamment de la volonté de  supprimer le système des castes.

     

    C'est le cas par exemple du Bouddhisme, mais aussi, celui, moins connu, du Jainisme. 

     

    P1210544Balai dans un temple jain de Jamnagar. Les fidèles s'en servent  pour écarter d'éventuels  insectes qu'ils pourraient risquer de  piétiner

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  • Commentaires

    1
    Mardi 29 Mars 2011 à 01:35

    merci pour ce commentaire si intéressant...

    bisous

    2
    Mardi 29 Mars 2011 à 06:43

    Des traditions ui n'avantagent pas tout le monde malheureusement.

    Merci pour ce billet très instructif!

    3
    Mardi 29 Mars 2011 à 13:38

    J'ai été meme épatée quand j'ai vu pique niquer (sur la pelouse photographiée ) plein de gosses en compagnie d'"adultes: je me suis dit ils vont tout ramasser en partant… et bien non!

    4
    Mardi 29 Mars 2011 à 13:39

    merci Cannella

    5
    Mardi 29 Mars 2011 à 13:41

    c'est ça le mot, harijan, Mlk. beaucoup d'indiens de basse caste se sont convertis au christinanisme justement pour échapper au système…

    6
    Mardi 29 Mars 2011 à 13:54

    Ton article est pasionnant et me touche beaucoup ...

     

    Pour la première raison qui est celle des castes et aussi parce que dans cette condition là , cet acte de "balayer" est totalement dégradé de sa signification spirituelle qui intègre nombre d'élèments ayant tous leur importante : le bois, la main qui tient le balai, etc. Et je pourrais en écrire une tartine la dessus !

     

    La roue tourne, parfois si lentement c'est vrai ...

     

     

    7
    Mardi 29 Mars 2011 à 14:41

    C'est tout le paradoxe de l'Inde, un pays qui change à une allure phénoménale mais qui reste ancrée dans des traditions millenaires qui parfois ne sont pas très bénéfiques (c'est le moins qu'on puisse dire). Par contre je ne sais pas si on peux dire que le boudhisme est né pour supprimer les castes.

    8
    Mardi 29 Mars 2011 à 14:52

    Merci de me faire découvrir ton voyage à l'aide de tes photos et de ton récit , je suis sur mon nuage

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    9
    Mardi 29 Mars 2011 à 17:26

    Ce système de castes demeure un mystère pour moi... Plus je me documente à ce sujet, moins je le comprends. Je pense qu'il est difficile d'imaginer à quel point ce système peut peser sur l'individu...

    10
    Mercredi 30 Mars 2011 à 06:40

    Irène,

     

    ta description de l'acte de balayer en conscience relève… du bouddhisme zen!

    11
    Mercredi 30 Mars 2011 à 06:51

    Bonjouir,

    je ne dis pas que la seule origine du boudhisme est le refus des castes, mais cela participe  à ses fondements;

     

    On attribue ainsi au Bouddha cette phrase (dans le Dhammapada, le plus ancien des recueils de textes bouddhiques): "un homme ne devient pas brahmane par la longueur de sa chevelure, par sa famille ou par sa naissance. L'homme en qui résident la vérité et la sainteté, et que la joie emplit, tel est le brahmane".

    12
    Mercredi 30 Mars 2011 à 06:52

    merci Mystic

    13
    Mercredi 30 Mars 2011 à 07:04

    Michèle,

     

    Ce rapport très particulier au propre/sale me semble quand meme particulier à l'Inde. Si on prend l'exemple des bains ans le Gange à Bénarès, où il y a une vingtaine  d'années on voyait encore passer au fil de l'eau des morceaux de corps humains pas entièrement calcinés (faute de roupies pour acheter assez de bois lors des crémations, j'ai ainsi vu des doigts voguer devant mes yeux ) , eh bien, se baigner, je dirais meme se laver (avec du savon!) dans cette eau ne dérangeait personne. Ça relève du symbolisme pur. les fidèles pourraient se contenter de tremper lla main dans le Gange; mais non, c'est lavage de la tête aux pieds avec immersion.

     

    cette année, nous sommes allés à Dwarka, pélerinage à Khrisna, situé au confluent d'une rvière et de la mer, pas mal de gens barbotaient allègrement dans la rivière, dont tu pouvais observersans peine  l'état peu reluisant  à marée basse.

    Effectivement en Inde, à l'origine , les castes étaient aussi fondées sur les différntes activités humaines: brahmanes, guerriers, marchands  et  travailleurs mais il y avait aussi déjà des hors castes, les intouchables  ( qui correspondent souvent au gens des tribus)

    14
    Mercredi 30 Mars 2011 à 07:05

    Nansou, ce système est très ancien, enraciné dans la mémoire collective en Inde. Il y a évolution, mais elele se fait très lentement

    15
    mlk
    Vendredi 15 Août 2014 à 22:22

    Vision partagée aussi par les enfants et petits enfants et arrière petits enfants d'indiens convertis au christianisme pour échapper au système des castes

    Dès l'aéroport, on voit beaucoup de balayeuses guère enthousiastes pour ensuite plonger dans le chaos de la vie indienne

    Ghandi les appelait "enfants de Dieu" je ne retrouve plus le nom indien(harijan?)

    La façade de l'immeuble est vertigineuse, démesure quasi apocalyptique

    toi aussi, ta vision est sincère, chercher et "reporter"

    Merci

    16
    michele
    Vendredi 15 Août 2014 à 22:22

    Et si c'était simplement le lot de tous ces pays qui sont passés d'un mode de vie traditionnel à un mode de vie occidental en très peu de temps.

    Quand on n'avait que des déchets biodégradables, le temps faisait son affaire.

     

    Je pense d'ailleurs que cette conscience ne se fait pas sans mal même ici où nos concitoyens ne s'embarrassent pas toujours d'écologie...

    Dans notre bout de forêt, c'est tous les jours que certains oublient des trucs derrière eux et derrière leurs chiens qu'ils prennent soin de torcher... avec des mouchoirs en papier disséminés le long des chemins.

    Tu comprends ils pourraient souiller la voiture au retour. Mais ... et la forêt?

     

    Il existe aussi un système de castes au Sénégal par exemple avec peut-être moins de systématisation avec la pauvreté qu'en Inde.

    On est d'une caste professionelle généralement (Caste des forgerons...) mais tu peux être médecin et issu d'une caste de forgeron.

    Les unions entre "castés" et "non castés" étaient compliquées et le restent encore peut-être. Je connais beaucoup d'étrangères mariées à des hommes sénégalais  "castés".

     

    La même répartition par clans responsables d'une activité ou d'un lieu (le clan de la mer par ex) existe en Nelle Calédonie chez les Kanaks.

    Mais il ne me semble pas qu'il y ait là bas de stigmatisations de cet ordre.

    Chaque clan a une fonction utile à la société et totu à fait reconnue et valorisée.

     

    As-tu remarqué que les balais étaient toujours très graphiques et beaux? J'imagine bien un mur blanc avec des balais de divers pays accrochés et mis en valeur.

     

    J'ai été une lectrice férue de V.S. Naipaul dont j'aime la lenteur des récits.

    Mon préféré: "une maison pour Mr Biswas", chronique délicieuse de la vie à Trinidad autour de la construction d'une maison.

    Belle réflexion Venezia.

     

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